Trois Soeurcière – Terry Pratchett – Live Blogging
Lundi 21 Avril 2025
Je commence aujourd’hui la lecture de Trois Sœurcières, un Annale du Disque-Monde de Terry Pratchett. À chaque fois, j’ai l’impression de commencer la dégustation de mon dessert préféré. Je débute le livre en savourant chaque phrase, avec une attention particulière que je n’ai pas forcément avec tous les romans.
La traduction de Pratchett est vraiment excellente. D’ailleurs, le traducteur a reçu le Prix de l’Imaginaire pour l’ensemble de ses traductions de Pratchett. Pratchett (et son traducteur) savent écrire. L’intérêt ne se trouve pas uniquement dans l’histoire. Alors que j’aborde d’autres livres — surtout des polars — avec un rythme de lecture plus soutenu, sans forcément prendre le temps d’apprécier la qualité de l’écriture… c’est un peu différent ici.
C’est par exemple le cas de Murakami, connu pour son écriture sans accroc, très fluide. C’est un exploit, un style en soi. N’y voyez pas une critique. Rien ne bute, rien ne dépasse, et c’est très agréable de se laisser porter. Chez Pratchett, le rythme de lecture est plus lent. Volontairement. Il m’arrive régulièrement de relire des phrases par pur plaisir.
Par exemple : « La nuit était aussi noire que l’intimité d’un chat. « Ou encore : « La chose qui essaye de ressembler à une chose ressemble souvent plus à la chose que la chose. C’est bien connu. Mais j’suis pas d’accord pour encourager ce système. »
J’ai choisi cet opus parce que j’avais envie d’une histoire avec Mémé Ciredutemps, mon personnage préféré de la série. Il me serait bien difficile de faire une description de ce personnage. C’est un peu la grande tante qui nous fait vaguement flipper, sans trop qu’on sache pourquoi, qu’on soupçonne d’avoir eu une vie de dingue, dont on redoute la crise de colère qu’on imagine terrible. Et c’est bien ça qui nous attire, qui fait qu’on a envie de la fréquenter. Parce qu’elle semble être fidèle à elle-même en toute circonstance. Elle est pétrie d’orgueil, et ne se remet jamais en question. Malgré sa tête solide comme du béton, on soupçonne que, une fois accepté dans son entourage, on fera partie intégrante — et gravée dans le marbre — de ses opinions. « S’excuser était un talent qu’elle n’avait jamais su maîtriser mais qu’elle appréciait chez les autres. »
J’aime tant Pratchett que c’est presque une honte d’avouer que je ne l’ai pas encore tout lu. Bon, j’exagère un peu. Je sais que j’ai de l’or sur mes étagères, et j’ai tendance à être rassurée de les avoir là. Parce que je sais que j’aurai toujours d’excellents livres vers lesquels me tourner en cas de panne. N’empêche, il m’en reste encore pas mal à lire. Cette année, je vais essayer de mettre un coup de collier.
Dans l’idéal, j’aimerais les avoir tous lus d’ici fin 2025. En fait, dans l’idéal, j’aimerais, cette année, être à jour dans mes auteurs préférés, mes auteurs coup de cœur : Toni Morrison, Franck Thilliez, et Kishi.
Mardi 22 Avril 2025
Revenons à la lecture des Trois Sœurcières. Quel plaisir de retrouver Mémé Ciredutemps, Nounou Ogg et Magrat Goussedail. En ce début de livre, on retrouve les trois sorcières qui se préparent pour un sabbat. Deux vieilles sorcières et une jeune sorcière fraîchement moulue et très désireuse de respecter les traditions. Comme une jeune étudiante fraîchement diplômée qui confronte sa connaissance théorique à la réalité des pratiques du terrain, et doit faire le deuil de ce qu’elle avait fantasmé — frustrée de ne pas pouvoir mettre en pratique pleinement ce qu’elle a appris.
Elles voient leur sabbat interrompu par une course-poursuite dans les landes, qui aura pour résultat de leur laisser un enfant sur les bras, ainsi qu’une couronne. Petit clin d’œil ici au Seigneur des Anneaux. Il semble que la couronne ait une vie propre, qu’elle attire les porteurs qui, lorsqu’ils la mettent, ont des visions d’événements vécus par les anciens porteurs. Les sorcières décident de cacher l’enfant et la couronne — dont elles s’imaginent aisément que les poursuivants ne renonceront pas à les retrouver — dans une troupe de théâtre itinérante.
En parallèle, nous apprenons que le roi Vérence, du pays de Lance, a été assassiné, à travers un dialogue savoureux entre son fantôme et la Mort. Nous faisons connaissance avec son successeur, le duc Kasqueth, qui essaye tant bien que mal d’être à la hauteur des ambitions de lady Kasqueth.
Étant donné que nous avons affaire à un auteur anglais, j’imagine qu’il y a une, voire plusieurs références très marquées à Shakespeare. Je ne connais pas assez ses pièces de théâtre pour les repérer — quel dommage. Mais la scène d’ouverture est sans nul doute une référence à Macbeth, avec les Weird Sisters — d’où le titre original du roman de Pratchett, Wyrd Sisters.
Plus j’avance dans ma lecture, et plus je me demande : comment c’est possible d’avoir autant d’imagination ? Pour moi, qui n’ai absolument aucune imagination, c’est assez hallucinant. Les scènes de Pratchett fourmillent d’éléments improbables et délicieux, notamment lorsqu’il décrit des événements magiques. Comme d’habitude, c’est un maître dans l’art de décrire des situations et ses personnages de manière très visuelle. Un visuel que j’imagine toujours sous forme de bande dessinée.
Les scènes avec Mémé Ciredutemps sont presque addictives, tellement elle est fascinante. Elle n’a vraiment peur de rien. Les sorcières, de manière générale, n’ont pas peur et se foutent des conventions. D’ailleurs, ces trois sorcières ont des personnalités très différentes et très fortes, toutes les trois. Nounou Ogg, qui est une matriarche bonne vivante, semble préférer festoyer en famille que courir la lande ; et Magrat Goussedail, la plus jeune, une nouvelle génération un peu hippie, soigne les gens à coup d’infusions et de massages, mais ne néglige pas les bonnes vieilles méthodes quand il le faut.
Mercredi 24 Avril 2025
Ma lecture traîne. La lecture est une passion qui prend énormément de temps. Je sais que c’est bizarre de parler en termes de productivité quand il s’agit de lecture. Pour moi, c’est plus que ça : lorsque je regarde le nombre de livres que j’ai envie de lire, je suis très frustrée de ne pas pouvoir bloquer plus de temps. J’aimerais lire plus. Je crois que c’est une frustration partagée par beaucoup de lecteurs. Ce n’est pas une compétition pour lire le plus de livres à l’année, au mois ou à la semaine — c’est une question de trouver plus de plaisir.
Aujourd’hui, j’ai réussi à bloquer quelques heures pour avancer dans le Pratchett. L’aventure avance vite. Il n’y a pas de moments de répit ou de longueurs. Moi qui voulais un tome autour des sorcières, eh bien je suis ravie. Elles sont les protagonistes principales et j’adore ce que je lis.
Sachant que je suis très attentive aux personnages féminins, surtout quand il s’agit des stéréotypes qu’elles renvoient, ici… c’est un vrai régal. Ce sont des sorcières, certes — donc des personnages qui, dans l’histoire, personnifient le féminin hors du cadre social imposé aux femmes. C’est un féminin puissant et libre. Et pour ça, dans l’histoire (moins aujourd’hui en France, en tout cas), les femmes dont la personnalité s’approchait de cette définition (ou pas), ont été cruellement chassées, punies, torturées et tuées.
Ici, les sorcières sont libres, et font leurs propres lois. Quel plaisir.
Quelques citations, juste pour le plaisir :
“Moi j’dis que si une sorcière est pas capable de s’débrouiller toute seule, ça vaut pas l’coup qu’elle se fasse passer pour telle.”
“Comment, au juste, demanda-t-elle enfin, s’y prend-on pour raser les maisons des gens qu’on n’aime pas ?
– Rénovation urbaine, dit le fou.
– J’avais en tête de les brûler.
– Alors assainissement urbain, s’empressa-t-il de rectifier.”
Une fois de plus, je suis impressionnée. Il y a de tout dans Pratchett : un monde fantastique extrêmement riche, une imagination incroyable, Shakespeare, des satires politiques. Et je ne parle même pas des dialogues, à mourir de rire, avec un propos en arrière-plan souvent très intelligent.
Jeudi 24 Avril 2025
« Des particules d’inspiration brute pleuvent sans cesse à travers l’univers comme de la neige fondue. De temps en temps l’une d’elles touche un esprit réceptif qui invente alors l’ADN, la forme sonate pour flûte ou un procédé afin que les ampoules électriques s’usent deux fois plus vite. Mais elles ratent généralement leur but. La plupart des gens passent leur existence sans qu’une seule même ne les atteigne.
Certains ont encore moins de chance. Ils les reçoivent toutes. »
Vendredi 25 Avril 2025
J’ai terminé Trois Sœurcières… et franchement, quel régal !
Alors, je n’ai pas explosé de rire comme ça m’est déjà arrivé avec Pratchett — je repense encore à mes fous rires sur Le Dernier Continent — mais j’ai souri et ricané plus d’une fois. Rincevent reste, à mes yeux, un champion du comique impossible à détrôner.
Mais revenons à Trois Sœurcières. Que dire ? La dernière partie du livre m’a vraiment surprise. L’arc narratif est rondement mené, sans fausse note. Honnêtement, pas grand-chose à reprocher à cet opus. La fin est inattendue, et pourtant, en y repensant, tous les petits indices laissés par l’auteur tout au long du récit rendent ce dénouement parfaitement crédible.
J’ai adoré passer du temps avec Mémé Ciredutemps, Nounou Ogg et Magrat. On est en plein dans l’image classique des sorcières… mais Pratchett réussit à nous en éloigner avec une finesse incroyable. Il a ce talent unique de créer des personnages plus vrais que nature, tellement vivants qu’on pourrait presque les croiser au coin de la rue. Leurs dialogues, leurs réactions, leurs décisions : tout sonne juste, tout fonctionne.
Bref, je vous recommande Trois Sœurcières mille fois ! Je sais déjà que je le relirai à Halloween pour profiter encore mieux de son ambiance délicieusement décalée.
Ainsi s’achève ce Live Blog.
Merci de m’avoir suivi, et à très bientôt pour une nouvelle lecture !